Technologie
Le Cheminement d’Internet, partie 1 : De la Guerre Froide à Napster
Raphaël |
Je voue un véritable culte à Internet, à sa culture et à tout ce qu'il a apporté depuis mon enfance dans les années 1980-1990, mais son origine date de bien avant ! Dans cette série d'articles, je souhaite vous faire voyager à travers le temps, pour découvrir ensemble l'histoire fascinante d'Internet et du Web, de ses balbutiements à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale jusqu'à quelques-unes des innovations les plus récentes.
Les prémices militaires et académiques (années 1940-1980)
Imaginez-vous au sortir de la Seconde Guerre mondiale, une époque de reconquête scientifique et militaire. La tension est-ouest catalyse des recherches effrénées, où la puissance scientifique possédée est la plus grande des garanties de paix mondiale. C'est à cette époque que les premiers ordinateurs voient le jour, comme l’ENIAC en 1945. Certains ordinateurs de cette époque peuvent être reliés entre eux, mais les réseaux ne sont jamais très grands et manquent souvent de fiabilité : un fil est coupé et tout est interrompu.
Dans ce contexte naît ARPANET en 1969, un réseau destiné à connecter des universités et des centres de recherche. C'est la DARPA, une agence fédérale américaine de recherche militaire, qui en est à l'origine. Désormais, plutôt que de demander à chaque ordinateur d'acheminer ce qu'il souhaite envoyer jusqu'à sa destination, de petits paquets de données cherchent leur chemin eux-mêmes à travers les méandres d'un réseau international. C'est révolutionnaire : le réseau devient intelligent, résilient, infatigable, extensible presque à l'infini.
Ce principe de paquets, le packet switching, est encore aujourd'hui au cœur d'Internet. Si un élément critique est en panne, si un câble est coupé, un satellite injoignable, les données trouveront toujours un autre chemin pour arriver à destination, c'est leur responsabilité. C'est ce qui permet au réseau de fonctionner sans problème depuis maintenant plus d'un demi-siècle.
Sur un autre front, la société Xerox, l'empire des télécopieurs, insuffle un vent d'innovation. Elle crée en 1973 le Xerox Alto, un micro-ordinateur équipé d'un écran, d'un clavier et d'une souris à trois boutons. Même si l'entreprise avait de l'or dans les mains, elle n'a jamais travaillé sur la commercialisation de cette invention, offrant cette technologie à d'autres. Peu à peu, des ordinateurs personnels de marque Amstrad, Atari, Apple ou Amiga envahissent les foyers, s'inspirant tous des travaux de Xerox. Encore réservé à un usage professionnel à l'époque, Internet se développe timidement avec le courrier électronique (1971), les forums (Usenet, 1980) et la discussion texte (IRC, 1988).
L'émergence du World Wide Web (années 1990)
C'est en 1989 que Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, deux géniaux informaticiens du CERN, donnent naissance sur la frontière franco-suisse à ce que nous connaissons tous : le World Wide Web (comme les trois W qui précèdent l'adresse des sites). Si vous ne devez retenir qu'une seule chose dans l'ensemble de l'histoire d'Internet, ce sont les noms de Tim Berners-Lee et de Robert Cailliau. Ils ont imaginé le système de pages web, de liens entre ces pages, et du navigateur web permettant de les consulter. Ils ont aussi créé le HTTP, servant à transférer ces pages web, ou les serveurs web, servant à mettre ces pages web à disposition des internautes. Leurs créations ont littéralement métamorphosé le monde et ont façonné l'Internet que nous connaissons aujourd'hui, accessible et compréhensible par tous.
Dans les années 1990, avec l'avènement des navigateurs tels que Netscape Navigator ou Internet Explorer de Microsoft, le World Wide Web se simplifie, se démocratise, apportant chaque jour de nouvelles solutions à l'humanité. Je me souviens encore de la transition entre l'époque où, pour chercher une information, on devait se rendre en bibliothèque, et l'époque où toutes les informations nécessaires se trouvent en quelques minutes après une recherche sur Yahoo (1994), Lycos (1994), Altavista (1995), Nomade.fr (1996) ou Voilà (1998). Google naît en 1998, apportant une indexation presque universelle du web et une fiabilité des résultats largement au-dessus de la moyenne, entrainant progressivement la fermeture de presque tous ses concurrents.
Nomade : l'un des premiers moteurs de recherche spécialisés dans les sites francophones
Page d'accueil de 1996
Une à une, les institutions, les entreprises, tout le monde expérimente cette technologie. Des fournisseurs d'accès français naissent, dont l'opérateur télécom national français, France Télécom (aujourd'hui Orange) qui propose son service Wanadoo en 1995. Le coût est assez élevé pour les particuliers : en 1997, un forfait dit "illimité" coûte aux environs de 150 francs par mois, soit environ 30 € d'aujourd'hui si on tient compte de l'inflation. Le détail qui tue l'offre, c'est qu'en plus de l'abonnement, il faut payer la communication téléphonique entre 1 € et 2,50 € par heure ! La facture peut dépasser la centaine d'euros mensuelle pour une utilisation quotidienne.
Depuis les années 1980, la France est déjà équipée d'une technologie relativement proche, le Minitel. Certains lecteurs s'en souviendront, le Minitel est une sorte d'ordinateur minimaliste permettant de se connecter à des services, à la manière de sites web simplifiés. L'usage ne nécessite pas d'autre abonnement que celui de la ligne téléphonique, mais coûte l'équivalent de 0,30 € à 1 € par minute de consultation. Cet appareil remplit une bonne partie des fonctions proposées alors par le Net, de manière plus simple et parfois plus rapide, ce qui en a ralenti l'adoption ici. Ailleurs dans le monde, l'usage du Web croît à une vitesse folle ! En 2000, alors que seulement 14 % des Français et des Espagnols sont connectés, ce chiffre monte à 29 % en Belgique et au Japon, 43 % aux USA ou en Hollande, entre 44 % et 50 % en Islande, en Corée du Sud, en Suède, en Autriche, en Suisse, en Nouvelle-Zélande, et au-delà de 50 % au Canada et en Norvège (source) !
Cette adoption massive n'est pas sans lien avec l'arrivée d'une foule de services permettant de créer son propre site web, tel que GeoCities (1994) aux USA ou Mygale.org / Multimania (1996) en France. À l'époque, OnlineCreation.me n'existe pas : pour créer un site web, il faut généralement acheter un logiciel relativement cher (Microsoft FrontPage ou WebExpert par exemple) et apprendre à coder en HTML et d'autres langages de programmation et de base de données, mais la chose était accessible à quiconque y consacrait quelques mois de sa vie. Cette relative accessibilité a mené à la création de milliers de start-ups, imaginant des tas d'usages, des centaines de modèles économiques et offrant au monde des services parfois gratuits, inédits, facilitant considérablement le quotidien. Cet eldorado attire de plus en plus d'investisseurs : c'est le début de la Bulle. C'est à ce moment-là, à un âge où mes semblables profitent de leur adolescence en se perfectionnant au football ou en s'intéressant à de potentiels partenaires amoureux, que je comprends que ma vie se passerait devant un écran.
Enfin, il ne faut pas oublier le début du piratage de masse. À partir de ces années que des moyens toujours plus perfectionnés et efficaces sont mis en places pour faciliter l'échange de musiques, jeux vidéos, films, livres, pornographie… Les années 1990 sont dominées par des sites dits Warez, dont le monde francophone est régi entre autres par le Top Francophone, sorte de concours quotidien de popularité pour les sites pirates. Mais la technique qui a fait exploser la pratique est le Peer-2-Peer, à la fin des années 1990. Ce sont des logiciels très simples d'usage où chaque utilisateur doit partager ce qu'il possède pour pouvoir accéder au catalogue mis en commun gratuitement. On trouve tout, parfois des choses qui ne sont pas encore commercialisées, parfois des films qui ne sont pas encore sortis en salle. L'usage est tellement populaire que les achats des biens culturels s'écrasent, en particulier la musique à partir du lancement de Napster (1999), puis les films avec eDonkey2000 (2000), Kazaa (2001), eMule (2002) ou Bittorrent (2002) et l'arrivée de connexion à Internet haut débit et illimitées de type ADSL (1999 en France). La contrefaçon y est décomplexée au point qu'il est difficile de ne pas avoir dans ses relations au moins un contrefacteur artisanal, téléchargeant, copiant et vendant à peu près n'importe quoi, créant une concurrence intenable pour les vendeurs légitimes.
Astalavista : le moteur de recherche international des systèmes de contournement de sécurité.
Page d'accueil de 1999
Top Francophone : concours quotidien des sites proposant de télécharger illégalement des jeux, logiciels, musiques, etc.
Page d'accueil de 2001
La saga de ce réseau devenu mondial est aussi fascinante que la toile qu'il a tissée dans notre société. Si vous aussi, vous avez été captivé par cette rétrospective de l'histoire d'Internet, je vous invite à rester connecté. Les prochains chapitres de notre voyage attendent, et ils promettent d'explorer des territoires encore plus captivants du cyberespace, le commerce en ligne, le Web 2.0, le début des réseaux sociaux, les fournisseurs d'accès gratuits, le surf rémunéré… Mais avant de refermer cette page d'histoire, prenez un instant pour partager vos pensées. Avez-vous eu des réminiscences de ces premières heures numériques ? Quel regard portez-vous sur l'évolution d'Internet ?
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Crédit images : Wayback Machine